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Le projet de loi 9 sur l’immigration et le principe de non-rétroactivité des lois

Dans un souci d’équité et de respect du droit, les 18 000 dossiers en attente devraient être examinés sous le joug de la loi actuelle qui n'a pas été abrogée.
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On se déchaîne sur la politique et l’injustice du procédé, mais qu’en est-il du droit?
NicolasMcComber via Getty Images
On se déchaîne sur la politique et l’injustice du procédé, mais qu’en est-il du droit?

Dans l'affaire des 18 000 demandes d'immigration qui ne seront pas examinées et du projet de loi 9, quelque chose taraude la juriste que je suis, même si j'ai terminé mes études depuis longtemps. Je suis très étonnée que personne n'en ait encore parlé ces derniers jours.

On se déchaîne sur la politique et l'injustice du procédé, mais qu'en est-il du droit?

Principe de la non-rétroactivité des lois: mes préoccupations

«Le principe général de la non-rétroactivité ne reçoit pas, en droit canadien, de consécration dans un texte législatif de portée générale. Principe fondamental issu du "jus commune" européen, il eût sans doute été superflu de le consacrer dans un texte. La loi rétroactive doit en effet rester exceptionnelle. Le besoin de sécurité dans la vie juridique s'oppose à ce que des actes accomplis sous l'empire d'une loi soient, après coup, appréciés par rapport à des règles qui n'existaient pas jusqu'alors. "Il ne faut point exiger que les hommes soient avant la loi ce qu'ils ne doivent devenir que par elle"».

Ce texte, qui a le mérite d'être clair, est tiré de l'Interprétation des lois, écrit par Pierre-André Côté, Mathieu Devinat et Stéphane Beaulac (éditions Thémis).

En ce qui concerne l'histoire de ce principe, voici une citation extraite du discours de Jean-Étienne-Marie Portalis, un des rédacteurs du Code civil français (1804): «L'office des lois est de régler l'avenir. Le passé n'est plus en leur pouvoir. Partout où la rétroactivité des lois serait admise, non seulement la sûreté n'existerait plus, mais son ombre même. [...] Que deviendrait donc la liberté civile, si le citoyen pouvait craindre qu'après coup il serait exposé au danger d'être recherché dans ses actions, ou troublé dans ses droits acquis, par une loi postérieure».

Le principe de non-rétroactivité des lois existait déjà en droit romain. Il est né du bon sens, de la morale, c'est la raison pour laquelle il est l'un des piliers des États de droit dans lesquels il garantit la sécurité juridique.

Une loi ne peut avoir d'effet sur des situations juridiques qui lui sont antérieures, elle n'a de force que sur les événements survenus après sa promulgation (sauf exception). Même quand on n'est pas juriste, cela paraît logique.

Le projet de loi 9

Cette loi 9 n'est encore qu'un projet, elle n'est pas entrée en vigueur. Elle ne devrait donc concerner que les cas futurs, les dossiers qui seront envoyés après sa promulgation. Sauf si elle se veut être une exception au principe de non-rétroactivité, ce qui semble être le cas puisqu'elle stipule qu'il sera mis fin à «toute demande présentée au ministre dans le cadre du Programme régulier des travailleurs qualifiés avant le 2 août 2018 si, il n'a pas pris de décision de sélection, de refus ou de rejet concernant cette demande» (article 20 du projet de loi 9).

Mais cette exception est curieuse. L'article 20 est rédigé de manière abrupte, il est d'ailleurs l'avant-dernier article du projet de loi. Et le vocabulaire utilisé est également surprenant: une demande mène nécessairement à une réponse, qu'elle soit négative ou positive, on ne peut pas «mettre fin» à une demande, l'arrêter.

Une demande, c'est déjà la création d'un statut juridique, c'est concret. On peut en revanche mettre fin aux conditions qui permettent de faire cette demande. De préférence pour le futur.

Dans un souci d'équité et de respect du droit, les 18 000 dossiers en attente devraient être examinés sous le joug de la loi actuelle qui n'a pas été abrogée. Les «supprimer» revenant à nier une situation juridique qui, par ailleurs n'appartient pas encore au passé.

Je voulais vous faire part de ce qui me turlupine ces derniers jours. Nous verrons quel sera le dénouement de cette affaire.

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